Les glands et leur germination. Une exploration contemplative

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Ce message est issu de Mésange, ma lettre éphémère que j’envoie chaque dimanche, d’octobre 2022 à mars 2023. < Précédent | Suivant >

Pour une raison qui m’échappe, depuis quelques semaines, je m’intéresse aux glands (de chêne). Peut-être un peu parce que je les ai vus s’accumuler sous un arbre pas loin de la tiny house, sur le terrain de mes parents.

En étudiant le sujet, j’ai réalisé qu’il y avait tant de choses à dire sur les glands, qu’il allait falloir vous écrire trois lettres.

Cette première lettre est plutôt contemplative. Dans la deuxième lettre, on mangera des glands, — oui oui !—, comme tant de civilisations par le passé. Et dans la troisième, on s’essaiera à les faire fermenter.

Encore sur l’arbre, la vie du gland est pleine de surprises

Je me balade en forêt. Alors qu’ils sont encore sur le chêne, je vois que les glands ont d’étonnantes destinées.

Certains se font perforer par des vers.

Un gland a un trou qui montre qu'il a été perforé et mangé de l'intérieur par un ver.

D’autres se transforment en dinosaures. Cette forme incroyable est une galle, c’est-à-dire une excroissance produite par l’arbre en réaction à la ponte d’une guêpe.

Une galle s'est développée sur un gland. Probablement autour d'un œuf de guêpe.

Cela me rappelle une autre interaction complexe, entre plante et insectes, que j’avais observée au Kenya sur les fleurs de niébé.

Ici, l’œuf de la guêpe pondu sur le gland produit des hormones qui déclenchent la formation de cette galle. D’après ce que j’ai lu, on ne connait pas encore les détails des interactions entre l’œuf et l’arbre1. C’est parfait, cela me laisse l’espace pour imaginer.

Est-ce que l’œuf manipule l’arbre, pour se faire construire une petite forteresse stylée ? Est-ce plutôt l’arbre qui, mine de rien, enferme l’œuf dans une prison dorée, pour circonscrire les dégâts ? Ou, est-ce que l’arbre prépare un nid douillet à son amie la guêpe, qui le printemps venu, le protègera d’un autre insecte ?

Mais la vie des glands est faite de rebondissements. Ayant échappé aux vers et aux guêpes, le gland découvre les écureuils ! Tiens, justement, en voilà un qui s’affaire autour de la tiny house…

Pas seulement les écureuils, mais les geais, certains pics, les rats, les souris aussi stockent des glands pour l’hiver. Et, comme ils ne les récupèrent pas tous, ils participent à la dispersion des chênes.

Fraîchement tombé sur le sol, le gland germe

En continuant ma balade, je réalise que chez les chênes, les glands tombent avant les feuilles. En soulevant les feuilles mortes, on découvre une multitude de glands, protégés visuellement des animaux et à l’abri du froid. Dans cette couche humide et ombragée, les glands trouvent l’environnement parfait pour commencer à germer !

Un gland commence à germer. On voit le petit point blanc de la radicule qui apparaît à l'extrémité du gland.

La stratégie, du chêne, me dis-je, est donc de stocker un maximum d’énergie dans une grosse graine. Et dès qu’il se retrouve au sol, le gland ne perd pas de temps. Même sans les rayons du soleil printanier, il peut compter sur cette réserve pour commencer à pousser.

C’est une stratégie risquée, puisqu’une si grosse graine, riche en amidon, en huiles et en minéraux, est convoitée par les animaux pendant l’hiver. À moins que ce ne soit une stratégie subtile, visant plusieurs objectifs : utiliser les animaux pour disperser les glands bien plus loin que ce que l’arbre ou le vent ne pourraient faire ?

Mais au fait, comment font les écureuils pour éviter que les glands qu’ils enterrent ne germent ?

Je trouve une réponse dans un article scientifique publié en 1982. D’abord, les écureuils préfèrent stocker des variétés qui germent plus tard, ce qui leur laisse du temps. Et pour les variétés plus précoces, ils les stérilisent, en coupant la petite radicule sur la pointe, avant de les enterrer2.

Tout simplement !

La racine pivotante du bébé chêne se révèle

Observant toujours sous ce tapis de feuilles mortes, je me demande quelle profondeur peut atteindre la racine d’un gland en novembre…

Le gland envoie une racine pivotante, c’est-à-dire qui descend tout droit vers le bas. Une telle racine lui permettra d’avoir un bon ancrage et un accès direct à l’eau de la nappe phréatique. Un chêne transplanté n’aura pas cette racine très profonde, ce qui le rendra moins résilient face à une sécheresse.

Je vois de nombreuses radicules qui pointent leur nez. D’autres font quelques centimètres. Avec stupéfaction, j’en trouve certaines de plus de 10 cm ! Et la plus longue, sur cette photo, fait déjà 20 cm, figurez-vous !

À cette vitesse-là, je me demande quelle profondeur peut atteindre une racine de chêne, au début du printemps, avant même de n’avoir fait apparaître sa toute première feuille…

Chaque racine a sa propre forme

Je contemple ces petites racines.

Il y en a qui ne démarrent pas vraiment au bon endroit. Pourtant, elles poussent.

Un gland est en train de germer, mais sa radicule apparaît sur une partie inhabituelle du gland.

Certaines ont l’air un peu timides.

Il y en a des lisses, d’autres touffues.

Contrairement à ce que je disais, une racine pivotante, ça n’est vraiment droit qu’en théorie !

Imaginer ces racines comme des trajectoires de vie humaine…

En contemplant un peu plus ces petites racines, je crois y voir représentées des trajectoires de vies humaines.

Certaines ne savent pas trop par où commencer.

Étonnamment, il y a des trajectoires qui partent de la même graine…

Âmes sœurs ?

Vies parallèles ?

Oh, en voilà une toute droite ! Qu’elle a l’air bizarre, au milieu des autres !

L'image montre un gland en train de germer avec une racine pivotante droite.

Hormis quelques rares linéaires, une tendance semble se dégager : ces trajectoires de vie sont toutes biscornues !

L'image montre un gland en train de germer avec une racine pivotante tordue.

Chacune de son côté, elles semblent dire : “Heu, excusez-moi, c’est par où ?”


  1. Stone, G.N., Schönrogge, K., Atkinson, R.J., Bellido, D. and Pujade-Villar, J., 2002. The population biology of oak gall wasps (Hymenoptera: Cynipidae). Annual review of entomology, 47(1), pp.633-668.

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Lénaïc Pardon
Lénaïc Pardon

Je suis une sorte de chercheur-explorateur. Je suis français, introverti et hypersensible. Je donne beaucoup de valeur à la liberté, la créativité et l’altruisme. Je suis curieux sur à peu près tout, mais j’ai une préférence pour les sujets autour de la sobriété volontaire : permaculture, nature, artisanat, autonomie, philosophie, les mystères de la vie… Plus de détails sur mon travail et ma trajectoire >