Interactions fleurs-insectes. L'exemple épique d'une fleur de niébé au Kenya

Cet article est un épisode de ma série que j’ai écrite en 2007 lors d’un séjour de 5 mois au Kenya. Il fait aussi partie de mon projet sur l’agroécologie.

Il est 6h00, la fleur de niébé commence à s’ouvrir. Ses pétales s’écartent doucement, déformés par la pression de l’eau que contiennent leurs vaisseaux.

6h10, après une patiente progression, l’étendard entreprend son dernier effort : en une fraction de seconde, la fleur termine son ouverture d’un mouvement sec.

6h15, une abeille, ah non, pas du tout, un insecte volant, à l’allure étrangement proche de celle de l’abeille, commence à percer la fleur par le calice pour aspirer son nectar, s’affranchissant donc sans gêne du travail de pollinisation.

Faux départ.

Notre héroïne régénère donc, sans broncher, son nectar nécessaire à l’attraction des pollinisateurs.

6h20, l’abeille Caffra attirée par la couleur pimpante et l’arôme renouvelé de la fleur, vient se poser sur ses ailes, la piste d’atterrissage. Son abdomen étant recouvert de pollen, Caffra a manifestement déjà visité d’autres fleurs ce matin. Elle pousse avec conviction la base des pétales afin de butiner le nectar caché tout au fond. Et dans le même mouvement, notre amie entraîne alors par effet de levier la remontée du pistil et des anthères, qui viennent se frotter sur son abdomen.

À cet instant, la partie mâle de la fleur, les anthères, laisse à son tour quelques grains de pollen sur Caffra. Puis cette dernière abandonne au passage, sans s’en douter, quelques pollens d’une autre fleur sur la partie femelle, le stigmate. Ouf, mission accomplie ! Le nectar consommé, Caffra s’envole vers d’autres fleurs.

Mais dès lors et sans traîner, le pollen déposé sur le stigmate commence à germer, formant son tube pollinique dans lequel le code génétique du papa niébé se déplace jusqu’à l’ovule de la maman niébé. Les tubes les plus rapides fusionnent avec les ovules en premier, et chaque grain de pollen arrivé à destination formera une graine, le tout contenu dans une gousse.

Pollinisée, la fleur commence alors à se refermer lentement, pour protéger des agressions la jeune gousse en formation. Mais malheureusement, la petite vie d’une fleur de niébé n’a rien d’un petit fleuve tranquille… A peine a-t-elle été fertilisée que les ennuis commencent.

Mylabris le scarabée atterrit sur ses carènes et commence avec assurance, à consommer ses si jolis pétales. Mylabris ayant la fâcheuse habitude de croquer patiemment la fleur jusqu’au pistil, l’avortement est souvent inévitable.

Heureusement pour nous, cette fois-ci Mylabris s’envole, repue, avant la fin du repas. Le reste des pétales, devenus inutiles après le passage de Caffra, se dessèche donc sous le soleil matinal et finit par tomber dans la nuit. Reste alors le lendemain, la toute petite gousse d’un jour, prête à s’engraisser.

Mais, pas de chance, de nombreuses créatures l’attendent justement à ce stade…

Melanagromyza la mouche, et Apion le colépotère, profitent de ce petit fruit encore vert pour y pondre leurs œufs. Puis, c’est au tour de la guêpe, de venir pondre ses rejetons dans les mômes d’Apion le coléoptère, ceux-là même se trouvant dans les graines de niébé. Incroyable…

Les larves de tous ces insectes parasites, vont alors se développer avec la gousse, consommant son contenu riche en énergie et en protéines. Protégés et nourris par la plante, ils effectuent ainsi toute leur maturation, chacun dans une graine, comme dans le ventre d’une maman…

Enfin, deux semaines après la fertilisation, la gousse déshydratée par le coriace soleil de l’équateur s’ouvre brutalement, laissant s’échapper les quelques graines encore non consommées par tous ces insectes. Assez pour former la prochaine génération, assurer la pérennité du niébé, et donc aussi la pérennité de ses parasites…

Mais avant même l’ouverture de la fleur, un autre hôte, Maruca le lépidoptère, a pris l’habitude au fil des millénaires, de déposer ses œufs dans les boutons floraux du niébé. Dévorés par les larves, ceux-ci ne pourront pas former de fleurs.

Et c’est contre cet insecte ravageur, qui provoque une chute des rendements des cultures, que plane l’idée de la création d’un OGM de niébé résistant…!


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Lénaïc Pardon
Lénaïc Pardon

Je suis une sorte de chercheur-explorateur. Je suis français, introverti et hypersensible. Je donne beaucoup de valeur à la liberté, la créativité et l’altruisme. Je suis curieux sur à peu près tout, mais j’ai une préférence pour les sujets autour de la sobriété volontaire : permaculture, nature, artisanat, autonomie, philosophie, les mystères de la vie… Plus de détails sur mon travail et ma trajectoire >

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