Le principe de la ligne clé : capter et stocker passivement l'eau sur un terrain (keyline design)

Cet article est un épisode de ma série sur les techniques de jardinage inhabituelles que je trouve élégantes et inspirantes. Cette série fait partie de mon projet sur l’agroécologie.

De nos jours, capter et stocker l’eau semble de plus en plus essentiel pour le jardinage et l’agriculture. Dans certaines circonstances, le sol lui-même est un excellent réservoir d’eau.

Croquis représentant des vallées, des crêtes et des rivières.

Bien sûr, les étangs sont un bon moyen de stocker l’eau. Ce sont aussi des écosystèmes très productifs, qui augmentent la biodiversité, aident à réguler les microclimats, etc.

Mais une autre façon de stocker l’eau est de se souvenir que le sol est aussi un réservoir d’eau naturel. Avez-vous déjà vu des arbres rester verts alors que la sécheresse a déjà desséché l’herbe depuis des semaines, voire des mois ? Cela témoigne de la grande quantité d’eau qui peut être stockée dans le sol.

Si notre terrain est en pente, on peut capter et stocker plus d’eau dans le sol en créant des structures horizontales à travers le paysage. Il peut s’agir de terrasses, de baissières, de murets de pierre, de murs vivants, de haies, qui suivent les lignes de niveau. Lors d’une pluie, l’eau de ruissellement est ainsi piégée et forcée de s’infiltrer dans le sol, de le saturer, puis de descendre plus profondément et de recharger la nappe phréatique.

Croquis représentant des vallées, des crêtes, des lignes de contour et des baissières empêchant l'eau de s'écouler.

Mais si notre terrain est très pentu, s’érode facilement, ou en cas d’événement pluvieux très fort, nos structures horizontales vont-elles résister au choc ? Ou bien auront-elles tendance à se briser près des talwegs, c’est-à-dire aux fond des vallées là où les eaux de ruissellement ont tendance à converger et à s’écouler plus rapidement ?

Dans un tel cas, il existe une autre variante utilisée en permaculture pour capter et stocker efficacement l’eau dans le sol. C’est le principe de la ligne clé.

Au lieu de créer des structures horizontales qui suivent les lignes de niveau, créons des structures qui vont toujours un peu vers le bas, toujours partant du talweg et descendant vers les crêtes des vallées. Ces structures peuvent être des murs de pierre, des murs vivants, des haies, ou même simplement des petites tranchées.

Croquis représentant des vallées, des crêtes et des lignes suivant les principes de design de la ligne clé en permaculture.

Dans ce cas, lors d’une pluie, l’eau de ruissellement n’est pas piégée, mais détournée du talweg, vers la crête. Alors que les structures horizontales doivent être suffisamment solides, surtout à proximité des talwegs, ces structures plus malines sont moins susceptibles d’être confrontées à un fort courant, car elles dispersent l’énergie du flux d’eau du talweg vers la crête, drainant les talwegs saturés et irriguant les crêtes sèches.

Ce principe de la ligne clé (article Wikipédia en anglais) a été développé dans les années 1950 par l’australien P. A. Yeomans. Il est allé jusqu’à trouver la géométrie élégante qui sous-tend ce principe.

Dans la plupart des vallées, il existe un point spécifique au-dessus duquel la pente est convexe et le sol a tendance à s’éroder, et en dessous duquel la pente est concave et les sédiments ont tendance à se déposer. Il l’appelle le point-clé.

Ce point clé fait partie d’une ligne de niveau spécifique qu’il appelle la ligne-clé de cette vallée.

Et la magie géométrique se produit lorsque l’on dessine sur le paysage des lignes parallèles à cette ligne clé. Ces lignes, légèrement inclinées, sont celles qui auront toujours tendance à éloigner l’eau des talwegs et à la diriger vers les crêtes. Pour que cela se produise, cependant, la vallée doit avoir cette forme spécifique convexe/concave.

Comme l’eau se répartie alors uniformément sur le paysage, y compris sur les crêtes, on utilise au mieux toute la capacité de stockage de notre terre. Et, comme ces lignes ne sont pas perpendiculaires à l’écoulement naturel de l’eau, le risque de rupture est beaucoup plus faible, et elles nécessitent moins de matériel et d’entretien pour être efficaces.

N’est-ce pas beau ?

Mais j’ai une pensée supplémentaire à propos de cette technique.

Les structures horizontales et les terrasses sont comme une étudiante débutante en taïchi. Elle essaie d’utiliser ses muscles pour bloquer et repousser la partenaire, et elle tombe. Les structures qui suivent le principe de la ligne clé sont celles où l’étudiante devient une experte en taïchi. Sans faire appel à de nombreux muscles, elle détourne subtilement le mouvement de sa partenaire. La partenaire tombe, mais l’experte garde son équilibre !

Ce principe de la ligne clé n’est pas seulement une pratique agricole astucieuse, c’est vraiment un enseignement spirituel et philosophique. Il s’agit d’observer et de respecter le partenaire — l’eau —, d’accepter le cours naturel des choses — l’eau s’écoule vers le bas —, et pourtant d’influencer profondément la réalité en utilisant des courbes douces et subtiles.

Si vous voulez approfondir un peu, il n’y a pas beaucoup de ressources en ligne en français sur le design de la ligne clé. En anglais, P. A. Yeomans a écrit un livre en accès libre, The Keyline Plan, où il donne plus de détails sur ce qu’on peut faire quand la vallée n’a pas cette forme convexe/concave. Et cette vidéo en français apporte une vision complémentaire de ce que vous venez de lire !


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Lénaïc Pardon
Lénaïc Pardon

Je suis une sorte de chercheur-explorateur. Je suis français, introverti et hypersensible. Je donne beaucoup de valeur à la liberté, la créativité et l’altruisme. Je suis curieux sur à peu près tout, mais j’ai une préférence pour les sujets autour de la sobriété volontaire : permaculture, nature, artisanat, autonomie, philosophie, les mystères de la vie… Plus de détails sur mon travail et ma trajectoire >