Un thé matcha au Japon (et les proportions pour un bon matcha)

En septembre 2019, j’ai passé quelques semaines au Japon avec Hsiao.

Parmi des visites et autres activités, un après-midi thé m’a particulièrement marqué. C’était l’un de ces moments ordinaires qui se transforment de manière inattendue en moments mémorables, peut-être du fait de la conjonction de quelques paramètres aléatoires.

À partir des notes que j’ai prises à ce moment-là pour me souvenir de l’instant, j’ai écrit cette courte histoire pour vous…



Face à moi, derrière les fenêtres à carreaux qui occupent toute la façade, une étrange silhouette tortueuse me fixe. Un arbre.

Anguleux et courbé à la fois, incliné, il ressemble à un vieillard déformé par les tourments de la vie. Il trône au milieu d’une étendue sablonneuse, minutieusement ratissée de cercles. À côté, quelques rochers entourent un étang partiellement recouvert de fleurs de lotus. Plus loin, une cascade et des canards qui batifolent. Une scène intéressante, surréaliste, pas tout à fait artificielle, pas vraiment naturelle non plus.

Dans ce décor, le pauvre arbre semble avoir été durement élagué, lui donnant une silhouette si singulière.

Devant un jardin zen japonais comme celui-ci, je me sens toujours à moitié fasciné et à moitié perplexe. Fasciné par la précision du travail de sculpture des arbres, perplexe face à cette mystérieuse obsession de vouloir rectifier les formes naturelles. D’après ce que je vois, il n’est pas facile pour un arbre de répondre aux exigences japonaises !

Je me demande ce que l’arbre en pense. Il me regarde fixement, sans expression.

En général, je me sens aussi frustré d’être limité à l’observation dans de tels jardins. J’aime quand les jardins sont à la fois beaux, nourriciers, havres d’espèces sauvages. Au lieu d’observer les jardins comme dans un musée - “Ne pas marcher sur les pelouses” -, au lieu de m’asseoir au bord des lacs de lotus - “Baignade interdite” -, j’aime m’allonger sur les herbes et plonger dans les eaux.

Après tout, ne suis-je pas moi aussi qu’un morceau de nature ?

Mais mes pensées sont interrompues par le sourire de la serveuse. Quittant des yeux le décor extérieur, je me concentre à nouveau sur l’intérieur de cet ancien café japonais tout en bois. À travers les grandes fenêtres, la lumière du soleil baigne la pièce et dessine des ombres complexes sur les chaises, les tables et le plancher.

Je me sens cozy, sur ma chaise, dans le parc Sunpu, au cœur de la ville de Shizuoka, au Japon.

Toujours souriante, la serveuse dépose un plateau devant moi. Sur celui-ci, un grand bol en céramique fait main et une toute petite fleur rose - un petit gâteau appelé wagashi. Perdue au fond du bol, quelques gorgées d’une potion mousseuse d’un vert intense. Le thé matcha que j’ai commandé, cultivé dans les montagnes environnantes.

Le thé matcha est une variété spécifique de thé originaire d’Asie de l’Est, cultivée sous des voiles d’ombrage. Les feuilles de thé cultivées à l’ombre deviennent moins amères et plus riches en caféine et en théanine. Cueillies à la main, les feuilles sont séchées et réduites en poudre à l’aide de meules en granit. Contrairement aux autres thés, simplement infusés, on dilue la poudre de matcha dans de l’eau chaude et on avale le tout. Boire un bol de matcha c’est ainsi ingérer beaucoup plus de caféine que lorsqu’on boit un bol de thé infusé, plus d’antioxydants, et c’est aussi absorber beaucoup de théanine, un acide aminé en partie responsable de la saveur umami du matcha. La théanine a également un autre effet intéressant, comme nous allons le découvrir plus tard.

Je montre ma gratitude à ma gentille serveuse par un sourire et un merci. Elle exprime sa considération en s’inclinant légèrement.

Dans ce bel environnement calme, je sens mon esprit glisser lentement vers un autre état de conscience. Plus calme, plus alerte, plus sensible aux innombrables œuvres artisanales qui m’entourent : sur ce plateau, dans le café, dans le jardin.

Bon, et ce matcha ? Essayons une première gorgée.

J’ai déjà goûté au thé matcha plusieurs fois, acheté en supermarché et dosé par mes soins. Je dois admettre qu’ici, l’expérience est complètement différente ! Il n’est ni trop dilué, ni amer. Il est très fin. On sent la note “verte” de feuille séchée, mais avec une succession complexe d’arômes subtils, intégrés dans une texture onctueuse. En fait, c’est un peu amère, mais pas trop amère. C’est juste comme il faut.

Une pensée traverse mon esprit : les proportions sont essentielles.

Je remarque que ce matcha a déjà commencé à influencer mes pensées. Je dirais que je me sens inspiré. Enjoué, oui, mais pas anxieux. Complètement différent d’après un café ou même un fort thé noir. Une sorte d’énergie puissante, mais qui vient des profondeurs et qui s’exprime en douceur. Une énergie féminine. Je me sens optimiste, paisible et créatif.

Est-ce l’effet de la théanine ?

Curieusement, un an avant cette gorgée, en 2018, ici même à l’université de Shizuoka, des scientifiques ont découvert que le matcha a justement un effet de réduction du stress en raison de sa forte teneur en théanine. Mais, disent-ils, pour réduire le stress, le matcha doit contenir suffisamment de théanine pour contrebalancer la caféine. Cet équilibre dépend de la qualité du matcha.

Les proportions sont essentielles !

À ce moment-là, je comprends pourquoi cette petite fleur rose se trouve à côté du bol. En plus d’adoucir l’amertume par le sucré, commencer par manger quelque chose de sucré et de gras avant de boire peut réduire la vitesse d’assimilation des molécules actives dans mon corps. Comme quand on mange des cacahuètes avant de boire de l’alcool, ou que l’on prend un repas avant de boire un café.

Convaincu par cette sensation agréable, bien différente de mes essais précédents, je demande à ma gentille serveuse si je peux acheter une boîte de ce matcha. C’est 2610 yens, 17 euros, pour 40 g, soit 425 euros le kilo.

Elle m’apporte le matcha dans une petite boîte en métal. Je souris et remercie ma gentille serveuse. Elle exprime sa considération en s’inclinant légèrement. Ici, chaque interaction sociale semble ponctuée par ces gestes de politesse répétés. D’une certaine manière, c’est apaisant, tranquillisant. En tant qu’hypersensible, je vis souvent les interactions sociales comme des torrents d’émotions. Mais au Japon, ces signes répétés de patience et de politesse procurent au contraire un sentiment de sécurité, de stabilité.

Un client, qui buvait son thé à une table voisine, me demande : “Mais, savez-vous comment préparer le matcha ?” Oh oui, pensé-je, c’est vrai, les proportions sont essentielles. Il faut que je connaisse les proportions.

Alors, mon nouvel ami accompagné de ma souriante serveuse se mettent instantanément à m’expliquer comment faire un bon matcha :

  • “Remplissez un grand bol d’eau chaude, puis videz-le.” - Je vois, on veut d’abord réchauffer le bol.
  • “Ajoutez 1 cuillère à café de matcha (1 g) dans le bol.” - Bon, je peux donc boire 40 bols avec ma petite boîte, soit 43 centimes par matcha. Pas si cher, finalement.
  • “Ajoutez 125 ml d’eau chaude à 60°C.” - Je vois, on ne veut pas d’eau bouillante, cela pourrait détruire les fragiles molécules.
  • “Fouettez en mouvements circulaires, à l’aide d’un chasen comme celui-ci”.

Elle me montre un chasen, un fouet en bambou spécialement conçu pour la préparation du matcha. Tout en expliquant, son poignet dessine lentement d’élégants tourbillons. C’est ce mélange qui permet de s’assurer qu’il ne reste pas de grumeaux et qui crée la mousse onctueuse.

Après avoir discuté un peu de mon voyage, de ce que je fais, d’où je viens, je me prépare à partir.

Je remercie ma gentille serveuse. Elle exprime sa considération en s’inclinant légèrement. J’imite sa révérence, montrant ainsi mon appréciation pour son appréciation. Je me dirige vers la porte, mais elle ajoute une autre courbette. J’en fais une autre. Elle en ajoute une autre, j’en fais une autre, puis une autre…

Finalement, j’atteins la porte. Je la referme doucement derrière moi et je me retrouve dans le jardin.

À ce moment précis, mon regard se pose sur l’arbre. Cette silhouette tortueuse, me fixant toujours, se met à rire, et j’entends : “Ha ha, quelle drôle d’humanité vous faites, les copains”.

Euh…, et ça, me demandai-je, c’est encore un effet de la théanine ?


PS : Si vous aimez l’artisanat du bambou, il y a de belles vidéos en ligne, comme celle-ci, qui montre comment les chasens sont fabriqués !


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Lénaïc Pardon
Lénaïc Pardon

Je suis une sorte de chercheur-explorateur. Je suis français, introverti et hypersensible. Je donne beaucoup de valeur à la liberté, la créativité et l’altruisme. Je suis curieux sur à peu près tout, mais j’ai une préférence pour les sujets autour de la sobriété volontaire : permaculture, nature, artisanat, autonomie, philosophie, les mystères de la vie… Plus de détails sur mon travail et ma trajectoire >