Travailler avec les escargots et les limaces au jardin (plutôt que contre)

Cet article est un épisode de ma série sur les techniques de jardinage inhabituelles que je trouve élégantes et inspirantes. Cette série fait partie de mon projet sur l’agroécologie.

Depuis quelques années, lorsque je remarque que des escargots ou des limaces commencent à grignoter mes légumes, je reste équanime.

Alors que je les observe grimper, saliver, croquer, mes mains se mettent à trembler. Devrais-je les capturer, une par une, pour nourrir les poules ? Devrais-je les noyer dans de la bière comme je l’ai lu dans le livre “Jardinage Écologique et Spiritueux” ? Devrais-je acheter ces granulés bleu fluo anti-limaces dans mon magasin “Le Jardinage au Naturel” ? Alors que toutes ces idées belliqueuses traversent mon esprit, alors que les feuilles de mes légumes disparaissent les unes après les autres, mon instinct français se réveille et je me surprends aussi à saliver : “Devrais-je manger ces escargots ?”, me demandé-je.

Mais au lieu de cela, je ne bouge pas, je ne les touche pas, je ne les mange pas. Je reste équanime. Et j’observe.

Car il y a quelques années, je suis tombé sur un blog (que je ne retrouve malheureusement pas) où un autre jardinier-observateur partageait son expérience très inspirante.

Il se réveillait au milieu de la nuit, et, armé d’une lampe torche, il allait rendre visite à ses laitues. Caché derrière un chou, il observait attentivement le comportement des escargots. Et voici ce qu’il découvrit : alors que les escargots grimpaient sur chacune de ses laitues, ils n’en mangeaient que quelques-unes, laissant les autres laitues intactes. Et voici son interprétation : les escargots goûtent les feuilles, mais lorsque la laitue est suffisamment en bonne santé, elle produit des substances végétales qui repoussent naturellement les escargots.

Finalement, ce jardinier zen essayait de ne rien faire de spécial contre les escargots et les limaces, il perdait certaines de ses laitues, mais celles qui survivaient restaient entières et en bonne santé, sans même qu’il essaie de les protéger.

En d’autres termes, les escargots ne font peut-être que manger les laitues déjà faibles, déjà malades. Peut-être que j’utilise des semis achetés en magasin, au lieu de graines déjà plus adaptées à mon sol ? Peut-être même que ces graines ont été génétiquement modifiées dans un laboratoire ? Peut-être que cette laitue, pour être saine, doit être spécifiquement fertilisée avec “l’Engrais Biologique” de la même marque ? Ou, peut-être, est-ce simplement parce que cette laitue a accès à un peu moins d’eau, ou de soleil, que celle-là ?

Alors, ces escargots essaient-ils simplement de m’aider à comprendre ce qui peut et ne peut pas pousser ici, sur ma terre ? Essaient-ils d’éliminer et de recycler les laitues malades, inadaptées et génétiquement altérées ? D’ailleurs, pourrais-je vraiment tirer des bénéfices en mangeant de telles laitues malades ? Peut-être que ces limaces ne sont que les éboueuses dévouées de mon petit écosystème ?

Si je réagis très vite, pour sauver autant de laitues que possible, je ne peux pas observer, et je m’empêche de parvenir à une compréhension plus approfondie de ce qui se déroule. Si j’accepte de perdre quelques laitues, tout en observant attentivement, je finirai par acquérir une compréhension complètement différente de ce qui semble se passer, et des idées complètement différentes sur ce que je pourrais essayer ensuite.

Je trouve ce type d’approche très inspirant. Cela permet d’établir une relation entièrement différente entre mon écosystème et moi !

D’un côté, sous couvert de produits ou de pratiques “écologiques”, je parle toujours de “lutter contre” ou de “se débarrasser” des escargots et des limaces. C’est moi - le très intelligent et éduqué Lénaïc Pardon - qui essaie de corriger de manière “naturelle et écologique” l’écosystème qui ne fonctionne pas correctement.

D’un autre côté, j’essaie de comprendre le comportement, le rôle des escargots et des limaces dans mon écosystème, j’essaie de comprendre ce que cette situation déséquilibrée peut m’apprendre sur mon écosystème et ma propre pratique. Dans ce cas, j’essaie plutôt de penser comme un écosystème, comme je le propose aussi dans mon essai sur un autre “bug” des écosystèmes, les plantes “invasives”.

Quand on cultive des légumes dans un but commercial, il peut être très risqué d’expérimenter ce genre de pratique. Mais, en tant que jardiniers amateurs, en tant que jardinières amatrices, nous avons la liberté de tenter de telles expériences radicales, nous sommes l’avant-garde de l’agriculture, nous pouvons nous aventurer hors des sentiers battus pour montrer d’autres voies possibles.

Comme, par exemple, observer les limaces et les escargots manger nos laitues. Réaliser alors que ces petits animaux sont, en fait, nos petites gourou-jardinières et nos petits maîtres-éboueurs, qui essaient avec patience et dévouement de nettoyer notre pagaille, et qui se démènent pour attirer notre attention, pour pouvoir enfin nous enseigner comment les écosystèmes fonctionnent réellement…


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Super ! Alors vous aimerez peut-être lire mon essai sur les plantes “invasives” où j’invite à essayer de penser comme un écosystème.

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Lénaïc Pardon
Lénaïc Pardon

Je suis une sorte de chercheur-explorateur. Je suis français, introverti et hypersensible. Je donne beaucoup de valeur à la liberté, la créativité et l’altruisme. Je suis curieux sur à peu près tout, mais j’ai une préférence pour les sujets autour de la sobriété volontaire : permaculture, nature, artisanat, autonomie, philosophie, les mystères de la vie… Plus de détails sur mon travail et ma trajectoire >